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le métier d'historien

5 juillet 2017

la Romanisation à l'époque d'Auguste, Ramsay MacMullen

Romanisation à l'époque d'Auguste couv

 

 

la Romanisation

à l'époque d'Auguste

Ramsay MacMullen

 

Du vivant d'Auguste (63 av. J.-C-14 ap. J.-C.), la civilisation romaine se répandit à un rythme remarquable dans tout le monde antique, avec des influences sur l'art, l'architecture, la religion, le droit, l'urbanisme, le costume, les loisirs... Dans son dernier ouvrage, Ramsay MacMullen tente de savoir pourquoi le mode de vie romain fut adopté à cette époque.

Grâce à de nombreuses sources archéologiques, Ramsay MacMullen découvre que durant cette période plus d'un demi-million de vétérans romains furent installés dans des colonies outre-mer, et que plus d'une centaine de villes des provinces reçurent une constitution civique de type italo-romain.

Des sommes colossales tombées entre les mains de notables ambitieux, romains et indigènes, servirent en partie à introduire et faire connaître le mode de vie romain. Pour Ramsay MacMullen, l'acculturation du monde antique s'explique non pas par un impérialisme culturel, mais par le désir des populations conquises d'imiter les conquérants.

Et les Romains furent en mesure de répondre à ce désir grâce à des techniques remarquablement efficaces de production de masse et de standardisation.

 

La Romanisation à l'époque d'Auguste,
Ramsay MacMullen,
Les Belles Lettres, 2003

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29 juin 2017

Colonies romaines des côtes occidentales grecques, Athanase D. Rizakis

odéon romain de Patras
odéon romain de Patras

 

 

Colonies romaines

des côtes occidentales grecques

Athanase D. Rizakis

 

 

 

colonies césariennes et fondations augustéennes en Grèce
colonies césariennes et fondations augustéennes

 

cartes colonies romaines en Grèce zoom

 

légende cartes colonies romaines en Grèce

 

carte des routes maritimes et terrestres sud Italie et Grèce
carte des routes maritimes et terrestres

 

 

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12 juin 2017

le pouvoir local en Gaule romaine, Laurent Lamoine

Vaison-la-Romaine quartier de la Villasse
Vaison-la-Romaine, vue du quartier de la Villasse © N. Mathieu (source)

 

 

le pouvoir local en Gaule romaine

Laurent Lamoine, introduction

 

pouvoir local en Gaule romaine, intro (1)

pouvoir local en Gaule romaine, intro (2)

 

épitaphe prêtre des trois Gaules
épitaphe ou inscription en l'honneur de Marcu Bucc[...], prêtre des trois Gaules,
Valence © CCJ/Philippe Groscaux (source)

 

pouvoir local en Gaule romaine, intro (3)

pouvoir local en Gaule romaine, intro (4)

 

 

pouvoir local en Gaule romaine, couv (2)

 

pouvoir local en Gaule romaine, couv (1)

 

 

 

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28 octobre 2016

Historiographie de l'histoire des droites en France

chefs de gouvernement de droite tableau
chefs de gouvernement de droite : Villèle (1821-1828), de Breuil (1835-1836), Guizot (1847-1848),
André Tardieu (1929-1930), Flandin (déc. 1940-fév. 1941), Georges Pompidou (1962-1968)

 

 

 

Historiographie

de l'histoire des droites en France

 

 

Avant l'ouvrage de René Rémond, La Droite en France, paru en 1954, la notion de droite n'est pas l'objet d'une histoire spécifique. C'est dans l'examen du cilvage droite/gauche que la droite est abordée par différents auteurs, qu'ils soient historiens ou autres.

 

 

1913

Tableau politique France Ouest Siegfried couv   André Siegfried 1910

  • Tableau politique de la France de l'Ouest sous la IIIe République, André Siegfried, 1913.

 

 

1928

Année politique française et étrangère janv 1928   Charles Seignobos portrait

  • Charles Seignobos, "La signification historique des élections françaises de 1928", in L'Année politique française et étrangère, juillet 1928. ; repris dans Études de politique et d'histoire, Puf, 1934, p. 309 sq. [en photo le n° de janvier de la même revue]

 

 

1930

Tableau des partis en France Siegfried 1930 couv   André Siegfried portrait

  • Tableau des partis politiques en France, André Siegfried, 1930.

 

 

1932

Les idées politiques de la France Thibaudet 1932 couv   Albert Thibaudet portrait

  • Les idées politiques de la France, Albert Thibaudet, 1932.

- "La politique, ce sont des idées".

 

 

1946

Les partis politiques sous la IIIe République Goguel, 1946 couv    François Goguel portrait

  • Les partis politiques sous la IIIe République, François Goguel, 1946.

- "La politique, ce ne sont pas seulement des idées et des intérêts, mais aussi des tempéraments".

 

 

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1954

René Rémond couv 1954   René Rémond portrait

 

 René Rémond couv 1968   René Rémond couv 1992

  • La Droite en France. De la première Restauration à la Ve République, René Rémond, 1954.

L'ouvrage a connu plusieurs mises à jour : 1963, 1968 et 1982. La quatrième édition a modifié le titre en adoptant le pluriel : Les Droites en France...

 

 

1964

Tudesq 1964 couv   André-Jean Tudesq (1927-2009) portrait

  • Les grands notables en France (1840-1849. Étude historique d'une psychologie sociale, André-Jean Tudesq, 1964.

 

 

 

 

1985

Louis Girard couv 1985   Louis Girard portrait

  • Les libéraux français, 1814-1875, Louis Girard, 1985.

 

 

 

 

 

 

 * en cours de rédaction

 

 

 

 

 

 

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bibliographie parue dans La Droite en France, éd. 1968.

 

René Rémond couv 1968

 

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René Rémond biblio 28

 

 

 

* en cours de rédaction

 

 

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12 janvier 2016

Thucydide

Thucydide

 

Thucydide

(460-396 ? av.)

"celui qu'on est tenté d'appeler, en dépit d'Hérodote, le premier véritable historien grec" (Jean-Pierre Vernant)

- Histoire de la guerre du Péloponnèse, Garnier-Flammarion, 1993.

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Souci du vrai dans l'établissement des faits, exigence de clarté dans l'énoncé des changements qui se produisent au cours de la vie des cités (guerres et révolutions politiques), connaissance assez précise de la "nature humaine" pour repérer dans la trame des événements l'ordre qui donne sur eux prise à l'intelligence, - tous ces traits sont associés, chez celui qu'on est tenté d'appeler, en dépit d'Hérodote, le premier véritable historien grec, à un refus hautain du merveilleux, to muthôdes, considéré comme un ornement propre au discours oral et à son caractère circonstanciel mais qui se trouverait déplacé dans un texte écrit dont l'apport doit constituer un acquis permanent : «À l'audition l'absence de merveilleux dans les faits rapportés paraîtra sans doute en diminuer le charme  mais si l'on veut voir clair dans les événements passés et dans ceux qui, à l'avenir, en vertu du caractère humain qui est le leur, présenteront des similitudes ou des analogies, qu'alors on les juge utiles et cela suffira : ils constituent un trésor pour toujours (ktêma es aiei) plutôt qu'une production d'apparat pour un auditoire du moment» (Thucydide, II, 22, 4). La critique que trois siècles plus tard Polybe dirige contre Phylarque, accusé de vouloir provoquer la pitié et l'émoi du lecteur en étalant sous ses yeux des scènes de terreur (ta deina), fournit le meilleur commentaire au texte de Thucydide : «L'historien ne doit pas faire servir l'histoire à produire l'émotion des lecteurs par le fantastique, (…) mais présenter les actions et les paroles entièrement selon la vérité, même si d'aventure 2707146897.08.lzzzzzzzelles sont fort ordinaires». Car le but de l'histoire ne consiste pas à «émouvoir et charmer pour un moment les auditeurs» mais à «instruire et convaincre pour tout le temps les personnes studieuses avec des actes et des discours vrais» (Polybe, II, 56, 7-12).

Jean-Pierre Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne,
Maspéro, 1974, p. 200-201.

 

 

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9 janvier 2016

Historiographie de la Révolution française

plantation arbre de la Liberté

 

historiographie de la

 

Révolution française

 

 

Jean-Clément Martin portrait(...) Trois difficultés restent non résolues. La masse considérable des monographies régionales et locales, parfois de grand intérêt est toujours peu mobilisée. L’historiographie de la Contre-Révolution demeure un domaine à part, à notre grand regret. Surtout, les lectures globalisantes d’une histoire universelle surplombante n’ont jamais cessé de donner des cadres aux approches proprement scientifiques de la période, rendant la compréhension de l’écriture historique plus délicate encore. C’est donc moins un bilan qu’une réflexion programmatique qui est dessinée ici, en retraçant rapidement les grandes scansions d’une historiographie particulièrement vivante."

 

Révolutionnaires Paris 1793-94
Révolutionnaires, Paris, 1793-1794, d'après les estampes du temps (NYPL)

 

 

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6 janvier 2016

L'esclavage et les traites négrières

carte traites

 

 

l'esclavage

et les traites négrières

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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5 janvier 2016

historiographie

4 janvier 2016

Paul Veyne : «Fabriquer de l'histoire est l'équivalent athée d'une prière»

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Paul Veyne
par François Busnel
Lire, décembre 2005 / janvier 2006



«Fabriquer de l'histoire

est l'équivalent athée d'une prière»

 

L'Antiquité gréco-romaine revient à la mode. Au cinéma et au théâtre, dans les restaurants branchés des actuelles Rome ou Athènes (où l'on dîne désormais couché à la romaine...) et, bien sûr, en bonne place dans vos librairies. Parmi les nombreux ouvrages consacrés à cette période fondatrice de l'histoire de l'Occident, une somme appelée à faire date : L'empire gréco-romain de l'archéologue et historien Paul Veyne. Un régal ! La plume de Paul Veyne est impertinente et drôle, érudite et originale.

Inclassable, Paul Veyne retrace l'histoire de l'Empire en convoquant la sociologie, la psychologie, la philosophie, l'histoire et les sciences. La politique est romaine, mais la culture est grecque, démontre-t-il brillamment avant de brosser le portrait-robot d'un empire bilingue et biculturel qui n'a rien à voir avec les clichés que véhiculent encore nos poussiéreux manuels. L'occasion était trop belle de donner la parole à cet éminent historien, titulaire de la chaire d'histoire de Rome au Collège de France, auteur d'une vingtaine d'ouvrages de référence et dont la renommée dépasse largement nos frontières.2020287781.08.lzzzzzzz1

Veyne avait révolutionné l'approche de la mythologie grecque (Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes?) et le regard de l'historien sur ses objets d'étude (Comment on écrit l'histoire), aujourd'hui il bouleverse radicalement, preuves et anecdotes à l'appui, notre vision de la Grèce et de Rome. Il va même plus loin, repérant dans ce passé méconnu les traces de notre modernité.

 

Comment êtes-vous devenu historien ?
Paul Veyne - Tout a commencé par un choc psychologique. À l'âge de huit ans, je suis monté sur une collinela_plaine_de_la_durance_c_t__cavaillon_490 proche de la ville de Cavaillon. Sur ce site celtique, j'ai trouvé une pointe d'amphore. Cet objet, qui ne ressemble à aucun autre des objets usuels, m'a fait l'effet d'un aérolithe tombé d'une autre planète. Ce fut un choc éblouissant ! Je me souviens l'avoir d'abord déposé sur l'autel d'une petite chapelle, parce que c'était un objet consacré. Tout est parti de cette découverte. Mais ce choc n'implique aucune valeur, je tiens à le préciser : je savais que les Romains avaient vécu dans des temps reculés mais je n'avais aucune idée de qui ils étaient. Ce choc n'a donc rien à voir avec les valeurs romaines, l'histoire ou même l'idée de vocation, c'est un choc de science-fiction : un aérolithe venu d'une autre planète. Or, dans le milieu populaire et inculte qui était le mien, la seule planète connue était Rome. Je me suis donc mis à m'intéresser à Rome. Vous le constatez : aucune grande idée dans ce choix, mais tout simplement un choc romanesque. Ainsi qu'une certaine chance... En effet, mes parents ont ensuite déménagé pour s'installer à Lille. Or il y a là-bas un grand musée archéologique romain et je passais mon temps dans ce musée, obsédé par ce que j'y voyais. Un jour, le conservateur, intrigué par ce gamin qui se taillait de la classe pour se trimballer dans son établissement, m'a convoqué et s'est occupé de moi.

L'année suivante éclate la guerre... Vous avez alors neuf ans. Fut-ce un autre choc ?
P.V. Je vivais dans un milieu qui, par conservatisme social et peur du Front populaire, était plus que collabo. Le journal qui était lu chez mes parents était une espèce d'infection nommée Gringoire. Et je vais vous dire, je regrette que l'on n'ait pas foutu douze balles dans la peau de Carbuccia, le type qui l'a dirigé et qui a été gracié à la Libération ! C'est dans ce journal que j'avais lu, à neuf ans, que les Anglais venaient de commettre les pires atrocités lors de la révolte des Cipayes. Je me vois encore expliquer à l'un de mes camarades qui, lui, était pour les Anglais et contre les Allemands : «Mais enfin, tu ne peux pas être du côté des Anglais... Ils ont fait des horreurs.» Il faut rappeler l'ignorance quasi totale dans laquelle les gens de province étaient alors - et tout particulièrement un gosse de neuf ans qui a spontanément les opinions de ses parents. Du coup, c'est vrai, je n'ai pas éprouvé de joie à la Libération.

Vous avez tout de même quitté votre milieu pour intégrer Normale sup. Que cherchiez-vous alors ?
P.V. Sortir de mon milieu, en effet. Je suis arrivé à Paris pour faire ma khâgne et ce fut un autre choc effrayant : le bas-relief célébrant la Libération de Paris en bas du Boul'Mich'. Celui-là n'a rien à voir avec les Romains mais ce fut, brusquement, l'image de la conversion. Naturellement, je suis entré dès que j'ai pu au Parti communiste... pour expier. Et puis, je me disais : «Tu te fiches totalement de la politique, tu n'es pas très sûr d'être courageux, donc grâce à la discipline du Parti tu es certain que tu ne trahiras jamais.»

Vous n'êtes resté que quatre ans au Parti communiste. Pourquoi avez-vous rompu, si vous n'aviez aucune conscience politique ?
biblioP.V. Parce que ça branlait dans le manche, tiens! Et puis parce que j'avais d'autres préoccupations : j'étais en Italie, à l'Ecole française de Rome. Mais je ne me suis pas véritablement dépolitisé car il y a eu, quelques années plus tard, la guerre d'Algérie.

Un autre choc ?
P.V. Oui, car je fus médusé par les rapports entre colons et indigènes. On m'avait envoyé en Algérie pour raisons archéologiques. Et je n'ai vu que les rapports humains. Cela m'a paru invraisemblable ! La façon dont se comportaient les colons avec les indigènes était pour moi insupportable, révoltante, intolérable. Au point que, je l'avoue, j'ai eu un moment de joie en 1961 car je voyais dans la guerre l'occasion de mettre un terme à ces rapports qui n'étaient pas moralement supportables. Mais il y a eu, ensuite, les révélations sur la torture. Et ce fut pire encore! Chaque matin, pendant des mois, je me suis réveillé avec une idée dans le crâne: «Nous sommes en train de faire en Algérie ce que les nazis ont fait en Europe.» Là encore, je précise que ce ne fut pas un choc social ou pro-prolétarien, mais un choc moral.

À quel moment décidez-vous de ce qui va devenir votre spécialité, l'archéologie et l'histoire gréco-romaine ?
P.V. Tout de suite. Ma famille était très ignorante, je vous l'ai dit, et très hostile au Front populaire. Mais il y avait un notaire qui, voyant que je lisais sans arrêt des ouvrages d'histoire romaine ou grecque, a convaincu mon père que je devais faire l'Ecole normale supérieure. J'ai donc suivi ce chemin pour faire de l'archéologie et de l'histoire ancienne mais je n'avais aucune admiration particulière pour les Romains, ni aucune valeur humaniste ou autre. Je sais que ça brise le mythe de dire cela, mais c'est la vérité : les événements se sont enchaînés et je suis devenu archéologue et historien parce qu'enfant j'avais découvert un bout d'amphore sur une colline, voilà tout.

aron_raymond_1En 1975, vous entrez au Collège de France, grâce à l'appui de Raymond Aron. Et pourtant, vous vous êtes brouillé avec lui aussitôt après...
P.V. C'est une histoire curieuse. À cette date, j'avais publié beaucoup d'articles mais peu de livres. En 1968, sans qu'il y ait aucun rapport avec les événements, je me suis mis à écrire un livre qui se présentait comme une rêverie sur la façon dont on écrit l'histoire (Comment on écrit l'histoire, NDLR). J'y racontais en partie ma vie, ce qui n'était pas très orthodoxe à l'époque. Or ce livre n'était ni soixante-huitard ni marxiste, et ne relevait pas davantage de la toute-puissante école des Annales. Je me foutais de Mai 68 (même si j'étais pour, mais pour des raisons qui n'avaient rien à voir avec le métier d'historien), de Marx et de Braudel. J'étais plutôt fasciné par les philosophes Georg Simmel et Max Weber.
Je me souviens que Braudel, à la sortie de mon livre, m'a écrit quelque chose du genre : «Plutôt que d'aller chercher toutes ces choses fumeuses dans la philosophie allemande, vous feriez mieux de faire appel à la clarté française...» Allusion à peine cachée au fait que je ne prenais pas la peine de le citer. Lisant mon livre, Raymond Aron a, quant à lui, trouvé un type qui rigolait du marxisme, de Mai 68 et des Annales tout en ayant une capacité à faire des bons mots à toutes les pages. Or Aron ne cherchait pas un héritier spirituel mais quelqu'un qui s'occuperait de ses travaux après sa mort. Et il fallait que ce soit un normalien ! Pour Aron, ce dernier point était capital. Comme Pierre Bourdieu, son dauphin désigné, venait de lui claquer la porte au nez, il s'est replié sur ce type qui ricanait grassement quand on parlait de marxisme, n'arborait pas la moindre trace de soixante-huitardisme et n'appartenait pas à l'école braudélienne. Et qui, de plus, était normalien. Et voilà comment Aron m'a proposé pour le Collège de France.
Est alors arrivé l'incident fatal, lors de ma leçon inaugurale. J'étais tellement perdu dans mes rêves intérieurs que, contre toute convenance, je l'admets avec honte, j'ai oublié de citer le nom de Raymond Aron. Oui, cela semble invraisemblable mais j'étais dans la lune. Pour Aron, ce fut un choc terrible, le signe de mon ingratitude. Et à partir de ce jour, il se mit à me persécuter après m'avoir fait élire...

Cet épisode confirme donc l'image dont on vous affuble parfois, en toute sympathie : celle d'un professeur Nimbus...
P.V. Eh oui, hélas. Je le crois.

Mais comment expliquez-vous que vous soyez si souvent «dans la lune» ? Est-ce le signe que rien ne vous intéresse hormis vos Grecs et vos Romains ?
P.V. Fabriquer de l'histoire - ou n'importe quel travail désintéressé - est l'équivalent athée d'une prière. La dépersonnalisation que produit cet effort pour dire ce que l'on croit être la vérité vous met dans cet état et parfume votre bureau d'une sorte de sécurité intérieure. C'est mystique, si vous voulez.

Revenons à notre sujet : en quoi consiste votre travail d'historien ?
P.V. Il consiste à dessiner, dans toutes ses vérités et sans poncifs, une certaine figure lointaine. Pour cela, il faut inventer des idées, c'est-à-dire conceptualiser. Pour arriver à dire l'individualité, qui ne ressemble pas à nous et dont la ressemblance est fausse, vous devez utiliser des concepts : plus il y a de conceptualisation, plus il y a d'individualisation. Loin de renvoyer à des généralités, les concepts abstraits sont l'unique moyen de définir avec exactitude une individualité. Sans eux, on tombe dans les lieux communs. Michel Foucault n'avait pas son pareil pour inventer des concepts, il est à ce titre le plus important des historiens de l'Antiquité.

Donnez-nous des exemples de concepts historiques...
P.V. Dire, par exemple, que le pouvoir de l'empereur romain est un pouvoir clanique, qu'il est mandataire et non souverain, que la cité grecque est un corps concret et non une constitution dans laquelle les gens entrent après être passés à la toise...

Votre ton est également très particulier : quelle est votre conception de l'écriture ?
P.V. Il faut être léger. Et se poser des questions. Mais attention, des questions élémentaires du type : auguste_empereur«Comment se fait-il que se soit produit tel événement bizarre?» Les ressorts de l'histoire sont les mêmes que ceux de votre vie personnelle : la psychologie. Mais ils ne sont pertinents que si nous pouvons, au moins par imagination, les revivre. Prenons un exemple. Les Romains, quelle que soit l'époque, n'ont jamais cru une seconde que l'empereur était un dieu. Tout le monde savait qu'il était mortel. Tout comme chacun savait, en URSS, que la société soviétique n'était pas la société idéale.

Comment expliquez-vous ce retour de l'Antiquité ?
P.V. Le Moyen Age a été tellement bien traité par l'école des Annales que le sujet est désormais épuisé !2070323285.01.lzzzzzzz Souvenez-vous de Montaillou, village occitan d'Emmanuel Le Roy Ladurie : le succès du livre vient non seulement du talent de son auteur mais aussi du fait que c'était la première fois que l'on reparlait aux gens, après une centaine d'années, du folklore local des villages. Ç'avait l'attrait du neuf. Le Moyen Age ayant déjà été traité, l'épopée napoléonienne ou celle de Louis XIV semblant trop proches, les gens s'intéressent à ce qui est lointain et peu connu : l'Antiquité.

Jusqu'à présent, on dissociait la civilisation grecque de l'Empire romain. Qu'appelez-vous, au juste, l'Empire gréco-romain ?
P.V. Cette dissociation est propre à la France où les chaires de latin et de grec sont distinctes et où les hellénistes contemplent Rome comme une duchesse toise un cancrelat tandis que les latinistes ne jurent que par l'originalité romaine. Les Allemands, les Anglais ou les Américains qui liront mon livre vous ro_marc_aurelediront que je n'invente rien et que je découvre l'eau chaude. Il n'y a qu'en France que l'on ignore cette vérité première : il y a bel et bien eu un Empire gréco-romain. Songez que l'on a fait de Sénèque le type même de l'esprit romain. Quel contresens ! Sénèque emploie des mots latins qui recouvrent tous des concepts très techniques et... grecs. Et à Rome, la philosophie et la médecine s'enseignaient en... grec. Lorsque l'empereur philosophe Marc Aurèle notait ses pensées, il le faisait également en grec et non en latin.

Cela veut donc dire que cet Empire fut bilingue...
P.V. Oui, bilingue et biculturel.

Fut-il également bicéphale ?
P.V. Il finira par le devenir, lorsque Constantinople prendra son essor et deviendra capitale de l'Empire romain d'Orient.

Mais comment est-on passé du modèle politique grec, proche d'une totalité, au modèle politique romain où ce n'est plus le tout qui prime mais l'individu ?
P.V. Dans l'Italie ancienne, chez les Etrusques, le centre de la vie est la cité. Comme en Grèce ou dans les parties civilisées du Proche-Orient. On ne sait pourquoi ce modèle, composé d'un petit groupe d'un millier de personnes, s'est retrouvé en Phénicie, diffusant très rapidement son modèle politique dans l'Asie Mineure, puis dans le monde étrusque et dans le monde romain. Mais la Grèce et Rome ont en commun le système de la cité. Rome est une cité. Le monde conquis par les Romains vit comme aujourd'hui les dominions du Canada : en état d'autarcie. Dans chaque cité, ce sont les notables qui commandent. Le pouvoir central n'a pas à se mêler des affaires de la cité. Il n'intervient que lorsque surviennent des troubles. Disons que Rome n'instaure pas l'équivalent d'un préfet. On pourrait parler d'un Commonwealth de cités. Rome n'a qu'une seule particularité, par rapport à la Grèce : un instinct de commandement.

D'où vient-il ? Pourquoi ne le trouve-t-on pas chez les Grecs ?
P.V. Il est difficile d'affirmer avec certitude d'où vient cet instinct. Je ne crois pas une seconde à l'idée, véhiculée par les historiens italiens notamment (chez qui l'empreinte marxiste est très forte), qu'il s'agit d'un intérêt de classe. Il faut chercher du côté de la psychologie : je suppose qu'il y a chez les Romains une conception spontanée de la sécurité et de la politique étrangère qui consiste à tout faire pour que Rome ne soit pas menacée. Pour cela, les Romains ont mis fin à toute forme de politique étrangère : ils ont absorbé tout ce qui était autour d'eux. Rome s'est ainsi retrouvée seule au monde. C'est une attitude que l'on peut comprendre : si vous devez mener une politique étrangère, c'est-à-dire des relations diplomatiques, avec un voisin qui vous fait sans cesse des ennuis, l'une des solutions consiste à le conquérir - il n'y a alors plus dealgeriedjemila politique étrangère puisqu'il n'y a plus de nation. C'est d'ailleurs ce qui fait l'unicité de l'empereur : il n'a pas de ministre des Affaires étrangères. Rome considère, d'une certaine manière, qu'elle est le seul Etat qui existe au monde. Le reste, ce ne sont que des tribus informes, des espèces de rois mais pas cette chose raisonnable qu'est un mandataire indépendant.

Vous montrez que l'on ne peut réduire l'Empire gréco-romain à la volonté de conquête. Il se met en place une forme d'absorption des cultures au sein de l'Empire. Peut-on parler de ce que l'on appelle aujourd'hui le multiculturalisme ?
P.V. Non, je parlerais plus volontiers de collaborationnisme. L'idée consiste à ne rien changer aux mœurs du pays que vous venez de conquérir, à ne faire aucun prosélytisme. Les Romains n'ont donc pas répandu la civilisation romaine, laquelle n'existe d'ailleurs pas. Il faut aussi rappeler que tout le monde avait déjà adopté la civilisation grecque : elle s'était développée d'elle-même. Les pouvoirs locaux savaient donc que Rome les laisserait en place. Mieux encore : ils savaient que toute révolte contre eux serait considérée comme une révolte contre Rome et serait sévèrement réprimée. D'une certaine manière, ils étaient garantis. Cette collaboration fut un des ressorts les plus répandus et les plus efficaces.

Les citoyens de cet Empire se sentaient-ils gréco-romains ?
P.V. Cela dépend des régions. Un Syrien se dit syrien d'abord, et précise ensuite : fidèle sujet de 0elisacartel'empereur. Mais dans les régions qui n'ont pas de civilisation originale, on se sent pleinement romain. Saint Augustin, par exemple, dit qu'il se sent romain d'Afrique. La fidélité est toujours une fidélité personnelle, attachée à un homme qui est l'empereur et non une fidélité à un peuple étranger représenté par Rome.

Il n'y a donc que peu d'unité dans cet Empire ?
P.V. Aucune, même ! Aucun patriotisme de masse. Seuls les notables et les lettrés se sont fait une grande idée de Rome lorsque les Barbares ont menacé.

Mais peut-on parler de cet Empire gréco-romain comme d'un tout ?
P.V. Oui, car les Grecs, bien qu'ils se considèrent très supérieurs aux Romains, sont contents de la domination romaine puisqu'elle garantit le règne de la bonne société, des notables, et que Rome les défend contre les Barbares qui vivent de l'autre côté de l'Euphrate. L'empereur n'a pas de nationalité ; il est sculpture_divers_buste_musee_tripoli_142972l'empereur.

Quelle est la spécificité du mandat de l'empereur ?
P.V. L'empereur doit d'abord être clairement distingué du roi. C'est un grand citoyen qui, avec son clan, a pris le pouvoir pour gouverner, protéger et défendre la chose publique, c'est-à-dire l'Empire. Il ne se réclame d'aucun droit mystique pour gouverner, comme le feront les Germains. Il est au pouvoir et tout le monde trouve cela très bien. Tant que ça dure... Il n'est qu'un mandataire. Mais dire qu'il est mandataire du peuple romain est une autre façon de dire que, s'il ne se conduit pas bien, il sera vidé et remplacé par un autre. Et comme la seule sanction en politique romaine est la mort, son éviction coïncide fatalement avec son assassinat.

Est-ce pour cela que si peu d'empereurs moururent de mort naturelle ?
P.V. Oui, en partie. Mais aussi parce que le sénat, qui était la classe gouvernante, était composé de cinq cents familles à l'intérieur desquelles n'importe qui pouvait devenir empereur. Il lui suffisait de proclamer publiquement qu'il était le meilleur et qu'il allait sauver l'Empire... Il ne rencontrait aucune des oppositions qui existent aujourd'hui, du type des syndicats ou même des partis politiques. D'autre part, le moindre mécontentement donne lieu à une révolte. Les soldats mécontents de la soupe ou les propriétaires fonciers mécontents de l'impôt prennent le premier notable venu et hurlent partout qu'il vient de se proclamer empereur. La plupart du temps, ce n'est pas vrai mais le pauvre type n'a plus qu'à essayer de sauver sa peau car il sait que dès que la rumeur aura propagé la fausse nouvelle il y passera... On peut dire que la forme d'opposition des populations consiste à faire un empereur, et souvent malgré ce dernier. C'est un acte de résistance dans un monde où il n'y a pas d'opposition possible de l'opinion. D'où une série de batailles pour le pouvoir.

L'empereur Marc Aurèle envisagea-t-il vraiment de rendre le pouvoir au sénat ?
P.V. C'était le vieux rêve d'un philosophe. L'empereur n'a aucun droit à gouverner : il est au pouvoir parce qu'il l'a pris. Il n'a pas l'autorité sublime du roi : il n'est pas né tout-puissant, il l'est devenu. Cette idée s_nat_romainchoquait le philosophe qu'était Marc Aurèle. L'idée que l'homme puisse avoir un maître et que ce dernier se fasse adorer, vénérer, était philosophiquement inacceptable pour lui. Marc Aurèle ressemblait en fait à ces intellectuels contemporains qui sentent qu'ils vivent dans une société capitaliste et injuste : il vivait dans un malaise perpétuel à cause du régime impérial. Mais il a fait son devoir, c'est-à-dire qu'il a évité de prendre de grands airs arrogants, de se césariser à la façon d'une star moderne. Il a développé pour cela une philosophie de la contrainte sur soi-même. Mais il a aussi fait son travail d'empereur : la guerre, le sort (ou plutôt les dieux) l'ayant mis à la tête de l'Empire.

Quel fut l'apport de Rome ?
P.V. D'abord l'idée, sublime, d'une vaste réunion de territoires tenus par un homme digne de ce pouvoir. Cette idée survivra jusqu'à Charlemagne et aux empereurs d'Allemagne. La notion d'empire a tenu à peu près aussi longtemps que celle de cité, qui a tenu de 2000 avant J.-C. à 500 de notre ère. Ensuite, l'idée que rome_forumla vie collective doit obéir à des règles. Dans l'Empire, la politique est romaine mais la culture est grecque. La culture, et même la vie!

Comment autant de violence a-t-elle pu cohabiter avec autant de beauté : l'art, la philosophie, la poésie...?
P.V. La grande époque de la littérature grecque est en effet celle de la guerre du Péloponnèse. Les Grecs étaient, en fait, plus militaristes et guerriers que les Romains : les guerres entre cités n'ont jamais cessé. L'état de guerre était l'état normal de la société, du coup les artistes savaient ce que signifiait la brièveté de la vie et se lançaient davantage dans la création.

Le poète Horace avait-il raison d'affirmer que «la Grèce conquise a conquis son sauvage vainqueur puisqu'elle apporte chez lui les arts» ?taverne_ph1
P.V. Oui, certainement. Mais Rome a ajouté au génie artistique grec le génie politique : l'autorité et le sens de la règle du jeu en politique sont romains. Et cette règle du jeu s'est perpétuée jusqu'à nous. Son principe est très simple : une grande collectivité obéit certes aux clans et aux pouvoirs sociaux mais il faut aussi suivre un certain nombre de règles de droit public.

À quoi ressemblait la vie économique ?
P.V. La masse de la population, à Rome, vivait avec l'équivalent d'un ou deux dollars par jour. Et on construisait le Colisée ou bien des aqueducs ! Ces derniers ne servaient d'ailleurs pas à grand-chose : à une partie des bains publics. Il y avait donc les milliardaires et les pauvres. Mais si, dans une société, vous atteignez un niveau de vie moyen plus élevé, apparaît alors une large classe qui remplace la plèbe : la bourgeoisie. Or, les bourgeois ne sont pas respectés : ils ne sont pas assez riches pour fasciner les pauvres et un mouvement social des prolétaires se développe assez rapidement en réaction contre leur pouvoir. En réalité, les bourgeois sont assez riches pour pouvoir dire qu'ils ne veulent pas de maître mais trop pauvres pour fasciner les vrais pauvres. Ils se mettent donc à réclamer la démocratie, le pouvoir de contester tel souverain, de le renvoyer... À Rome, ça les aurait envoyés aux galères ! À Rome, il n'y a qu'une mince classe moyenne. L'affaire se divise entre les grands et le peuple, exaspéré.

Quel était le statut de la religion ?
P.V. Il n'y en a pas. S'adressent aux dieux ceux qui veulent le faire. Les dieux sont considérés comme une nation supérieure et étrangère. On peut les prier si on en a envie, et on le fait parce que c'est la coutume. Mais il n'y a pas d'organisation ecclésiastique, pas de pape et chacun adore le dieu qu'il veut. À Athènes comme à Rome. Les dieux sont des voisins. Mais il est vrai qu'il n'y a pas eu, à Rome, d'âge des Lumières. remond2Il était rarissime que l'on nie les dieux : l'athéisme n'est pas romain. Disons que l'on se comportait vis-à-vis des dieux comme doit se comporter un intellectuel catholique de haut niveau aujourd'hui. Prenez par exemple René Rémond et demandez-lui ce qu'il pense de cette histoire d'Immaculée Conception ou bien de la transsubstantiation... Il ne peut pas le croire. Mais en même temps, il continue de croire à son Dieu. Les Romains lettrés se posaient ce genre de questions : comment dois-je me représenter les dieux ? Pour les Romains, il existe une Providence. Si elle existe, alors on peut la prier. Les dieux (Jupiter, Minerve...) sont les autres noms de la Providence.

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Justement, les Romains ont-ils cru en leurs mythes ? 
P.V. Absolument pas. Un lettré romain ne croit pas une seconde que la mythologie est vraie. Les dieux sont comme les saints du Moyen Age : on leur invente une personnalité et cette personnalité leur sert de biographie. On écoute la légende, qui est une belle histoire, mais on n'est pas obligé de croire à la légende.

Les Romains étaient-ils des débauchés et des individus dépolitisés ?
P.V. Non, pas du tout. Encore une image d'Épinal! Il ne faut pas lire trop de bandes dessinées...

Alors pourquoi l'Empire gréco-romain s'effondre-t-il ?
P.V. À la suite d'une série d'accidents. Mais il n'y a jamais eu de décadence romaine. Aucune. L'Empire a, au contraire, été très énergiquement reconstruit aux alentours de 300 par les tétrarques, et autour de 310-320 par Constantin. Les Romains ne sont donc nullement des dégénérés ou des avachis langoureux. Ils seraient plutôt complètement hystériques ! Ce sont des furibards ! L'accident est le suivant. Il n'existe peut-être aucun pays au monde où la longueur de frontière, rapportée à la surperficie, est aussi disproportionnée. La Méditerranée est un trou énorme au milieu d'un Empire de 60 millions d'habitants. Et avec des Barbares tout 010autour. Avec le niveau de vie qui prévaut à Rome, on ne peut entretenir qu'une armée de 300 000 hommes et il faut engager des Barbares pour défendre les frontières. Ces derniers se débrouillent comme ils peuvent, vivent aux frais de la population qu'ils pillent de temps à autre. Jusqu'au jour où les attaques contre l'Empire ont coïncidé : au même moment, les Barbares ont attaqué sur l'Euphrate, sur le Rhin et sur le Danube. Or le Danube est le point central : il suffit de passer le fleuve pour entrer en Slovénie et menacer l'Italie. Quand trente mille Barbares ont franchi le Rhin dans la nuit du 31 décembre 403 et qu'Alaric a forcé la Thrace à peu près au même moment, Rome s'est trouvée débordée. Paumée. Il faut se représenter un jeu d'échecs : la grande affaire consiste à empêcher le roi d'être pris, pas d'empêcher les pièces de se faire prendre. Les Barbares sont loin d'être idiots : ils ont pillé et brûlé les villes et ont aussitôt nommé des contre-empereurs. L'Empire a chuté parce que trop de Barbares avaient attaqué au même moment et nommé trop de contre-empereurs simultanément. Cela a provoqué un foutoir de tous les diables... (mosaïque carthaginoise représentant un chef vandale, fin Ve-début VIe siècle)

Aujourd'hui, que reste-t-il à découvrir sur l'Empire gréco-romain ?
P.V. Beaucoup de choses mais il faudra le faire par conceptualisation plus que par des recherches sur le terrain ou par l'étude de documents. Travailler sur la sexualité, par exemple. Rome, c'est l'amour. J'entends encore Michel Foucault me dire: «Ecoute, Veyne, tu ne crois pas qu'au fond il y a eu trois périodes : les plaisirs antiques, la chair médiévale et le sexe des modernes ?» Il s'agit d'apercevoir comme étrange un phénomène que l'on avait jusque-là tenu pour banal.

Le combat pour le maintien du latin et du grec dans le secondaire est-il le vôtre ?
P.V. Non, pas du tout. Pour être franc, je m'en fous complètement.

Comment !
P.V. Il serait plus utile que les enfants étudient l'allemand plutôt que le latin et le grec : c'est une langue à déclinaison difficile. Je ne crois pas que savoir le latin fasse mieux connaître le français. Par contre, connaître le bon français facilite la compréhension du latin. Combien d'étudiants en grec et latin peuvent-ils lire couramment les poètes latins ou grecs ? Je lis la prose grecque mais pas la poésie grecque car c'est un langage très différent du grec usuel, très compliqué. Quand un Grec fait de la littérature, il n'écrit pas en grec mais en prose d'art, et quand il écrit de la poésie, il use d'une langue spéciale. Cela dit, je n'ai pas envie de fâcher les défenseurs du latin et du grec à l'école : ce qui est important n'est pas de maintenir le latin et le grec mais qu'il y ait à chaque génération et dans chaque pays cinq cents types capables de traduire du latin et du grec.

Mais pour cela, il faudrait commencer dès le secondaire, non ?
P.V. Mais non !

Bon. De quelle philosophie gréco-romaine vous sentez-vous le plus proche ?
P.V. Aristote. C'est mystique ; il est snob et aristo, vit dans l'utopie complète... Mais sa philosophie me plaît : une bonne gymnastique dont le but est de nous habituer à l'abstraction.

L'Empire gréco-romain
Paul Veyne
Seuil, 2005
Prix : 25 € / 163,99 FF.

 

 

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3 janvier 2016

Lucien Febvre reproche à Seignobos son refus du terme de "nation"

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l'histoire sincère de la nation française

de Seignobos

jugée par Lucien Febvre (1933)


Lucien Febvre a sévèrement jugé le livre de Charles Seignobos, (1854-1942), Histoire sincère de la nation française, paru en 1932. On croit souvent que la cause en serait une vision nationaliste et intégralement événementielle de la nation que l'historien fondateur des Annales aurait pourfendue sans ménagement dans son article publié par la Revue de synthèse en 1933. Il n'en est rien. C'est presque l'inverse qui est vrai.

L'ouvrage de Seignobos avait été annoncé comme "la Vérité contre la Tradition" d'où l'usage du terme "sincère" dans le titre. Lucien Febvre se gausse de cet adjectif et ne relève que "trois ou quatre boutades" en fait d'audace. Parmi lesquelles deux allusions à la Gaule et à Jeanne d'Arc qui évitent soigneusement de parler de "nation" et de "patriotisme".

Or, Lucien Febvre reproche à Seignobos son refus du terme de "nation" au sujet de la Gaule, contrairement au travail de Camille Jullian (1859-1933). Et moque l'auteur de réduire Jeanne d'Arc à un loyalisme partisan. Il lui oppose le projet de Vidal de la Blache (1902) de "rechercher comment et pourquoi des contrées hétérogènes, qu’aucun décret nominatif de la Providence ne désignait pour s’unir dans un certain ensemble, ont cependant fini par former cet ensemble", la nation.

Michel Renard

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Histoire «sincère», donc «intrépide» : la pente des vertus est glissante. Écoutons Charles Seignobos dans sa Seignobos_hist_sinc_rePréface : il parlera «sans réticence, sans aucun égard pour les opinions reçues, sans ménagement pour les convenances officielles, sans respect pour les personnages célèbres et les autorités établies». Le grand serment. Résultat de tant d’audace ? En 520 pages, trois ou quatre boutades.

Voici Vercingétorix sur son Mont-Auxois. Toujours alerte, Charles Seignobos, grimpant sur le morne piédestal du vaincu d’Alésia, s’en va gentiment lui tirer les moustaches (p.-30). Un héros national ! À d’autres ! Et que nous veut cette invention de «patriotes rétrospectifs» ? Il n’y avait pas de «nation» en Gaule au temps de Vercingétorix : affirmation péremptoire qui suffit évidemment, en bonne méthode, à jeter par terre les conclusions contraires d’une Histoire insincère de la Gaule à quoi, comme chacun sait, Camille Jullian a consacré sa vie ? — Les Gaulois n’ayant «jamais formé une nation», Vercingétorix ne peut avoir été le héros «national» des Gaulois. C. Q. F. D.

Ne notons pas qu’ici Seignobos semble avoir une idée précise de ce qu’il faut entendre par «nation» ; il aurait bien dû, nous l’allons voir, tirer parti de cette précision lorsqu’il formait le dessein de son livre. Ne demandons pas non plus ce que fut, «en vérité», Vercingétorix. «Un chef arverne ayant servi dans l’armée romaine», répondrait Seignobos (p. 30) et qui, «un soulèvement général» ayant éclaté en Gaule (général, non pas national, vous l’entendez assez), fut prié de prendre la tête d’une «ligue de guerre contre les envahisseurs étrangers». — En somme, un commandant en chef de forces interalliées ? Alors, qualifions Vercingétorix de «héros polynational des Gaules» et n’en parlons plus. Les «patriotes rétrospectifs» y pourront voir une promotion, et la sincérité de Seignobos s’épanouira d’aise.

Il y a Jeanne d’Arc aussi... C’était prévu. Incarnation du patriotisme ? Allons donc ! fadaises à la Michelet, ce Michelet qui n’avait pas la Méthode. (Ce qui n’empêche pas que la seule Jeanne d’Arc intelligible que nous ayons, jusqu’à présent, ce ne soit toujours la Jeanne d’Arc de Michelet ... ) — Jeanne d’Arc ? Une partisane, sans plus (p.-201). «Son loyalisme s’adressait au roi de son parti, plutôt qu’au roi de la nation française,» Ce n’est pas nouveau et c’est simple ; si simple que je comprends mal. D’abord, si l’un des deux partis, le bourguignon, était apparu comme l’allié de l’étranger, et que ce ne fût pas, précisément, celui de Jeanne ? Surtout, roi d’un parti, roi de la nation, je ne comprends pas. Mais je voudrais savoir ce qu’était le roi de France, à cette date, dans l’opinion commune des hommes. Toute la question gît là.



on demande à l'historien d'expliquer

Car, un historien, on ne lui demande pas de dire (sauf dans les journaux, quand on l’interviewe ; mais alors, il ne s’agit plus d’histoire) — si, oui ou non, Vercingétorix et Jeanne d’Arc méritent le titre de «héros nationaux». On lui demande d’ «expliquer» l’un et l’autre de ces personnages historiques. «Résistance à l’étranger», j’y reviens et ce n’est pas ma faute si le professeur d’histoire m’y incite après le «métaphysicien» : je voudrais savoir ce que, dans l’esprit des Gaulois soulevés «généralement» contre Rome, cette formule pouvait représenter d’idées et de sentiments, sans doute radicalement différents de nos idées et de nos sentiments à nous ? Donc, ce qu’incarnait réellement le chef commun de cette résistance, Vercingétorix ? Ou encore, ce que les «Armagnacs» du temps de Charles VII pouvaient mettre derrière leur lutte «contre les bandes au service du roi d’Angleterre» ?

En d’autres termes, m’apprendre ce qui animait à la lutte Jeanne et ses compagnons, ce qu’étaient pour eux le roi qu’ils combattaient et le roi qu’ils soutenaient, voilà ce que je demande à l’historien. Et, s’il ne peut satisfaire mes curiosités, qu’il dise du moins : «J’ai cherché. Les questions que je me suis posées, les voici. Je n’ai rien trouvé. Demain, peut-être, un autre, plus heureux...»

La porte ouverte, toujours. Des mises en place, non des déboulonnements. Des programmes d’enquête et non des boutades pour ennuyer X... ou dire son fait à Y... De la sincérité ? affaire à vous. Mais du sens historique, oui. Je veux dire : un effort constant, tenace, désespéré pour entrer, et faire entrer le lecteur dans la peau même des hommes d’autrefois.


quelle est la "nation" de Seignobos ?

Cela dit, quel a été, exactement, le dessein de Ch. Seignobos ? Qu’a-t-il voulu nous donner ? Histoire de la nation française, répond le titre : c’est précisément ce que réclamait Benda, — Julien Benda dont la thèse s’oppose si catégoriquement à la thèse de Ch. Seignobos, et qui, sur ce qu’il entend par Nation, ne laisse planer aucune sorte de doute. Mais Seignobos : «J’ai voulu faire une esquisse de l’histoire de l’évolution du peuple français». Donc, peuple français égale nation française ? Est-ce bien sûr ? — «Montrer en quel temps, continue Seignobos, en quel lieu et par quels motifs se sont créés les usages, les institutions, les conditions de vie qui me paraissent former le fondement de la nation française...»

Nous voici loin de la Nation au sens de Benda, en pleine «histoire de la société», ou des sociétés qu’aux époques diverses les Français de toutes les conditions, de tous les états, de toutes les cultures ont constituées, le fort portant le faible, comme disaient les fiscaux ? — Est-ce bien sûr encore ? En cent passages, Seignobos témoigne d’une conception toute majoritaire de sa «nation française».

La masse, voilà ce qui le préoccupe. En vertu d’un raisonnement singulier et qui révèle la plus étrange conception qui soit du rôle des idées et de la façon dont elles se propagent, il lui sacrifie les Arts, les Sciences, les Lettres. Il lui dédie, par contre, les faits de la vie quotidienne : n’ont-ils pas toujours formé «l’intérêt principal de la vie de l’énorme majorité des individus ?» — Alors quoi ? On s’y perd. Histoire de la nation, ou du peuple français, ou du peuple de France, ou des masses populaires ? Une sarabande, et dans un livre d’éducation publique, faut-il dire, dès le début, un bon exemple ? (…)



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Lucien Febvre (1878-1956)

comment des contrées hétérogènes ont-elles fini

par former un ensemble ?

Car nous pouvons maintenant aller droit au fait. Seignobos n’a point écrit son livre pour le vain plaisir de noircir du papier. Ou je me méprends totalement sur son compte, ou il s’est proposé de créer un livre d’éducation populaire, susceptible d’une large diffusion. Livre d’éducation et, en même temps, il faut le supposer, livre d’initiation à l’histoire, à ses méthodes, à son esprit, à son objet ? Jugée de ce double point de vue, que dire de l’Histoire sincère ? Qu’elle est, en vérité, déconcertante. Et d’abord par son conformisme. Car ce livre est, d’un bout à l’autre, traditionnel.

La conception de son sujet ? Seignobos l’a prise dans le domaine public. Tout au long de son livre, il fait de la France un «donné tout fait», un lit prédestiné qui, dès la première page de l’Histoire sincère, attend, toutes couvertures providentiellement faites, que l’Élu s’y couche ? Et cependant l’ai-je rêvé, que Vidal de la Blache dans son Tableau, il y a trente ans, a magistralement posé le vrai problème : rechercher comment et pourquoi des contrées hétérogènes, qu’aucun décret nominatif de la Providence ne désignait pour s’unir dans un certain ensemble, ont cependant fini par former cet ensemble : celui, en l’espèce, que pour la première fois nous saisissons dans les textes de César dessinant par ses «limites naturelles» une Gaule, préfiguration approximative de notre France ?

Mais former un tel ensemble, c’est beaucoup et ce n’est rien. Car il ne vaut que s’il s’est maintenu. Cent ensembles différents auraient pu se constituer, et se sont constitués temporairement, qui n’ont pas duré et que nous négligeons parce que l’histoire n’enregistre que les réussites. Comment, pourquoi, malgré tant «d’offres», comme aurait dit Lavisse, tant d’essais ratés de nations franco-anglaises, ou franco-ibériques, ou franco-lombardes, ou franco-rhénanes, entrevues comme possibles ou, parfois, temporairement réalisées dans les faits   — comment, pourquoi la formation Gallia, après maintes tourmentes, a-t-elle toujours réussi à reparaître et à rattrouper autour d’un germe (dont nulle part la notion féconde n’apparaît dans le livre de Ch. Seignobos) les membra disjecta que des événements, par nous qualifiés de «hasards», avaient temporairement dissociés de l’ensemble ?

N’y eut-il là, en effet, que «contrainte mécanique d’événements extérieurs», ou bien faut-il faire place à d’autres facteurs, ceux que J. Benda voudrait mettre en lumière ? — Et encore, quand nous parlons de Français dès le seuil d’une histoire dite «de France» et que nous continuons à en parler tout au long de cette histoire, avons-nous raison ? Ces Français, ne devrions-nous pas, à toutes les époques, nous soucier de dire qui ils étaient — de préciser ce que nous nommons Français à une certaine date, et ce que nous excluons de la France, et quels étaient, sur les points importants qui nous retiennent, les sentiments des exclus, des Français séparés ?

Il est commode d’escamoter une question. Le problème demeure, qu’il faut énoncer si l’on veut donner au public une réelle leçon d’indépendance d’esprit. — Ce problème que Vidal posait en grand géographe, Benda, en métaphysicien pressant. Et que Seignobos a refusé de poser en historien. Parce que la notion même de problème lui demeure étrangère, comme «répugnante» celle d’hypothèse. Nouvelle fidélité à des idées de toujours.

Lucien Fevre, "Ni histoire à thèse ni histoire-manuel.
Entre Benda et Seignobos", Revue de Synthèse, V, 1933



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Febvre en haut à droite, Seignobos en bas à gauche

 

 

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