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le métier d'historien
18 septembre 2014

Petite histoire du modèle social français à destination de Pierre Gattaz

 

 

Petite histoire du modèle social français

à destination de Pierre Gattaz

 Michel Renard

 

FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour l'historien Michel Renard, le modèle social français, décrié par Pierre Gattaz, et défendu par Manuel Valls fait partie de l'identité nationale.

 

70 ans Sécu drapeau français

 

Le «modèle social français» est-il une composante de l'identité nationale ? Manuel Valls en est convaincu, qui livrait son sentiment devant les députés le 16 septembre [2014] : «Ce modèle n'est pas dépassé. Il est au cœur de l'identité de la nation». Notons, au passage, que l'usage de cette dernière notion ne semble plus déclencher les foudres qu'elle suscitait il y a quelques années. À l'époque, un Vincent Peillon pouvait aller jusqu'à prétendre que «La France n'a jamais parlé d'identité nationale» (Le Figaro, 26 octobre 2009).

«Notre modèle social a vécu. Il n'est plus adapté», Pierre Gattaz

Manuel Valls répondait au président du Medef, Pierre Gattaz qui, le même jour, plantait une énième pique, après une foule de toreros : «Notre modèle social a vécu, il n'est plus adapté». Avant lui, de nombreux picadors avaient déjà blessé le taureau. Parmi eux, le vice-président du Medef, Denis Kessler, déclarait au magazine Challenge en octobre 2007, qu'il fallait «défaire méthodiquement le programme du Conseil National de la Résistance», source entre 1944 et 1952 du modèle social français, disait-il.

Le 12 mai 2005, le déjà candidat Nicolas Sarkozy stigmatisait l'échec du modèle social français, il n'était plus un «bon modèle social».

Sans entrer dans la confrontation sur ce qu'il est possible de conserver ou non, d'étendre ou non, des politiques de redistribution, il est certain que celles-ci s'enracinent dans un châssis mental, législatif, économique et politique français plutôt ancien et assez divers.

À qui la France est-elle redevable de son «modèle social» ?

Si le sociologue Frédéric Lebaron note que la formule est récente et que son usage généralisé date de la campagne référendaire de 2005 (revue Savoir/Agir, n° 6, 2008) peut-être faut-il remonter au grand contrôleur général des finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert. En 1991, Michel Albert, dans Capitalisme contre capitalisme prêtait beaucoup à ce ministre mercantiliste : «La tradition française, c'est le social-colbertisme : l'État qui commande l'économie au nom d'une ambition politique et d'une volonté de progrès social».

Au XIXe siècle, avant les républicains et les socialistes, le catholicisme social du vicomte Alban de Villeneuve-Bargemont, celui d'un Charles de Montalembert ou d'un Armand de Melun, tous trois députés royalistes, légitimistes catholiques, est à l'origine de la loi du 22 mars 1841 relative au travail des enfants. Entre 1850 et 1851, sous la IIe République, Armand de Melun fit adopter plusieurs lois sociales relatives aux jeunes détenus, au temps et aux conditions de travail, à l'assistance hospitalière, à l'aide judiciaire aux pauvres, aux contrats d'apprentissage.

 

un apôtre de la charité, couv

Sous le Second Empire, la «politique sociale» de Napoléon III séduisit de nombreux ouvriers, même si elle n'eut guère de réalisations concrètes à son actif.

Dans la lignée du catholicisme social, sous la IIIe République, le corporatiste chrétien Albert de Mun critique «l'avilissement du travail au rang d'une marchandise» et se pose comme un partisan de réformes sociales. Il dépasse même les républicains qui votent, avec Waldeck-Rousseau, la loi sur l'autorisation des syndicats en 1884. De Mun aurait souhaité que ces derniers bénéficient de la «faculté d'acquérir» leur permettant d'organiser à large échelle des caisses contre le chômage, la maladie et la vieillesse.

Les politiques inspirées de la «question sociale» furent partagées par un large spectre idéologique, des conservateurs aux partisans du nouvel ordre issu de la Révolution française.

Le solidarisme de Léon Bourgeois (Solidarité, 1896) insuffla aux républicains l'horizon d'une société intégrée, ne laissant personne à l'écart, une «société de semblables».

Les avancées sociales sur le temps de travail, les retraites et les allocations familiales, entre 1906 et 1919, furent le fait des républicains radicaux ou des libéraux.

le large spectre idéologique de la «question sociale»

Ainsi, les politiques inspirées de la «question sociale» furent partagées par un large spectre idéologique, des conservateurs aux partisans du nouvel ordre issu de la Révolution française.

Le Front populaire fit peut-être moins, que de Gaulle et le CNR en matière de définition d'un nouveau «modèle social».

Le 20 avril 1943, le général évoque dans un discours : «un régime économique et social tel qu'aucun monopole et aucune coalition ne puissent peser sur l'État, ni régir le sort des individus, où, par conséquent, les principales sources de la richesse commune soient ou bien administrées, ou, tout au moins contrôlées par la Nation, où chaque Français ait, à tout moment, la possibilité de travailler suivant ses aptitudes, dans une condition susceptible d'assurer une existence digne à lui-même et à sa famille (…) telle est la féconde réforme dont le pays renouvelé voudra consoler ses enfants».

programme CNR, couv
programme du C.N.R., mars 1944

Le programme du CNR, adopté le 15 mars 1944, retient, à son tour, «le droit au travail et le droit au repos, notamment par le rétablissement et l'amélioration du régime contractuel du travail ; (...) la garantie d'un niveau de salaire et de traitement qui assure à chaque travailleur et à sa famille la sécurité, la dignité et la possibilité d'une vie pleinement humaine ; un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se les procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'État».

«Notre modèle social repose sur des principes justes», Jacques Chirac

Aucune famille politique n'est demeurée, à un moment ou à un autre, exclue de ce qui est devenu une singularité française, en Europe, en matière de redistribution et d'implication de l'État dans la pérennité et l'extension de celle-ci.

Le 19 décembre 2001, Jacques Chirac, président de la République déclarait : «Notre modèle social repose sur des principes justes auxquels nos concitoyens sont légitimement et profondément attachés.» Tous les sondages le confirment.

Et le 26 mai 2007, le communiste et ex-secrétaire général de la CGT, Georges Séguy, s'offusquait, avec un brin de fausse candeur : «comment pourrait-on admettre que la France de 1945 affaiblie par de lourdes destructions, appauvrie par le pillage systématique de l'occupant, meurtrie par les quatre années noires du régime de Vichy, aurait pu réussir ces importantes avancées sociales, alors que la France de 2007 réputée l'un des pays le plus riche du monde serait dans l'incapacité financière de respecter les conquêtes sociales issues de la Résistance ?»

Le modèle social français est donc aujourd'hui un «legs de souvenirs», un «principe spirituel», dans l'acception d'Ernest Renan (1882). Restera-t-il un «héritage à faire valoir» ?

Michel Renard
18 septembre 2014
source : FigaroVox

Michel, place de la Valette, Saint-Chamond, 3 sept 2014

 

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